Le Monde Blanc
Livre I
Chapitre 2-
L’homme blond au visage flou, résultat d’un souvenir confus, lui parlait à voix basse. Ils étaient dans la rue.
« Ecoute, il faut qu’on quitte ce pays, pour les Etats-Unis, par exemple. On ne peut pas rester ici. Je veux être un homme libre. Et toi aussi. Fais-moi confiance ».
La ville était truffée d’immeubles, et sur chaque mur étaient collées des affiches blanches, identiques, représentants un personnage sans sourire- le même à chaque fois- vêtu façon homme d’affaire. Le slogan situé au dessus de sa photographie semblait le valoriser.
Puis le souvenir se volatilisa.
Revenu subitement à la réalité, l’homme blessé gémit.
« Rep…Répétez-m…moi ça ? », tenta-t-il.
L’anglais cessa alors de rire. Il répondit sèchement :
« Bon, je n’ai aucune idée de qui vous êtes ni pourquoi vous avez atterri ici. Mais sachez que ce continent est interdit aux civils, conformément au traité de 1959.
_ M…Mais je…J’ignore moi-même comment je suis arrivé l…là !
_ Vous auriez perdu la mémoire ? Et comment je peux être sûr que vous ne me mentez pas, hein ?
_ Mais enf…enfin, je ne sais pas qui je suis, aid…aidez-moi au lieu de me soupçonner ! ».
L’esquimau se tourna vers le bord de plage. La mer s’étalait sur la glace comme elle le faisait sur le sable, dans les pays tropicaux. Un navire endommagé, dont la vitre avant était cassée, gisait près de la côte.
« C’est votre bateau ?
_ Je v…vous dis que j’ignore tout !
_ Ouais, allez, suivez-moi ».
Alors les deux hommes quittèrent les lieux.
Plus le jeune amnésique avançait, plus il explorait le paysage qui l’entourait de ses yeux, et plus il était ébahit. Près de la mer, se dressaient de hauts glaciers d’un blanc immaculé, et sur les terres, à l’horizon, de grandes montagnes couvertes par la brume.
Ce n’est qu’après avoir retrouvé une certaine quiétude qu’il constata à quel point l’air était pur. Chacune de ses inspirations lui faisait entrer une bouffée d’oxygène fraîche et douce dans la gorge, et dans ses narines. La température le frigorifiait, mais respirer cet air lui procurait l’impression qu’il nettoyait son organisme, qu’il éliminait toutes les impuretés de son corps, toutes les maladies, tout les virus, toutes les bactéries. Il se sentait épuré. Il n’avait aucun souvenir de son passé, mais il était persuadé- c’était impossible- que jamais auparavant il n’avait été dans un milieu aussi naturel que celui-ci. Jamais.
« Où v…va-t-on ? », demanda-t-il.
_ A la base, mon cher ami. Il va falloir avertir les autorités françaises de votre présence ici.
_ Les…Les autorités ? ».
Il ignorait pour quelle raison ce mot lui faisait monter l’adrénaline dans son système immunitaire, pourquoi il en avait si peur, mais il en était ainsi. Et l’émotion s’ensuivit d’un nouveau souvenir dans sa mémoire.
L’homme blond au visage inconnu réapparut. C’était son ami. Aucun détail ne le faisait entendre, mais il le savait.
Les deux amis ne se trouvaient plus dans une ville avec des immeubles, mais dans ce qui ressemblait à une cave. Peu de lumière, une pièce étroite, le sol était en bois. Tous deux étaient assis sur une énorme caisse.
« Bon, dit l’ami blond, on reste ici jusqu’à ce qu’il soit à mi-chemin. Ensuite, on improvise. Ca te va ? ».
Les séquences du souvenir se fissurèrent, défilèrent, à grande vitesse, et un nouveau film apparut.
Un marin couché à terre, le visage ensanglanté. Il implorait.
« Je ne peux pas changer de cap. Je vous en supplie. Vous qui êtes clandestin, vous devriez comprendre ! C’est le seul endroit où nous serons en sécurité ! ».
L’homme blond fit son apparition, et serra de ses deux mains la gorge du marin. Puis il parla d’un air menaçant :
« Monsieur le marin, nous sommes des résistants, pas des suicidaires. Vous allez nous menez en Californie comme c’était prévu, et sans faire d’histoires, vu ? ».
Autre flash.
Les images étaient si violentes que l’amnésique en eut des sueurs froides.
Deux hommes étaient couchés à terre, baignés dans leur propre sang, mort. Le marin était debout, et levait les mains au dessus de la tête.
« Je ne voulais pas ! Il m’a sauté dessus ! Monsieur, non, s’il vous plaît ! NOOOOOOOON ».
Détonation sourde.
Puis plus rien. Le trou noir.
Le souffle du vent entra de nouveau dans les narines du blessé, le paysage blanc refit son apparition, l’anglais se tenait devant lui. Tout était redevenu comme avant.
« Eh, mon vieux, ça va pas ? ».
L’anglais s’était penché sur lui. De toute évidence, il était tombé.
« La base n’est qu’à une demi-heure de marche. Relevez-vous ».
Facile à dire. « Relevez-vous ». Le britannique lui tendit le bras. Le blessé le saisit et se leva avec grand mal. Et, pour on ne sait quelle raison, l’anglais resta immobile. Puis il brandit sa mitraillette.
Allons-y, faisons-nous braquer une seconde fois. « Ne bougez pas ».
Qu’est-ce que…C’est alors que l’inattendu se produisit. L’amnésique sentit un poids énorme fondre sur lui. Il céda et tomba la tête dans la neige. Il entendait l’anglais hurler des jurons, en français et dans sa langue.
« MERDE, RESTEZ IMMOBILE ! SHIT, GOD DAMN IT ! NE BOUGEZ PAS!”.
Mais le blessé eut la force de se retourner, de se retrouver face à la chose qui s’était jetée sur lui.
Tous ses muscles se figèrent. Cette fois, en revanche, il ne pouvait plus bouger. Il ne pourrait plus jamais.
Un monstre était couché sur lui. Un véritable monstre. Ce n’était pas un animal, oh non, cette chose lui était inconnue. Il n’avait jamais vu de bête de la sorte, sauf dans les films d’horreur.
Des yeux noirs qui le fixaient, une gueule immense qui s’ouvrait béante. Des dents pointues, des centaines, et ce cri rauque…Ce terrible cri de monstre… Cette créature cauchemardesque allait le dévorer. Il ferma les yeux, mais le visage de la chose ne cessait de le hanter, à présent. Et le hurlement sinistre se répétait dans le chaos.
C’est un cauchemar, Seigneur, je suis en enfer ! Tout se passa très vite, mais ce qui était sûre, c’était que les dents de la créature venaient de s’enfoncer dans sa chair.
C’en était finit…
A suivre…