Le cœur battant à tout rompre, priant pour que ses jambes ne tremblent pas, Vincent commença contre son gré à se diriger furtivement vers l’arrière du traîneau, à l’endroit où la jolie jeune femme brune était allongée, inconsciente.
Une chance qu’elle ne soit pas éveillée… Encore trois pas…
Des fissures infimes se formaient sous les pieds de Vincent.
Si ça cède…Le français détourna le regard un bref instant, pour observer David qui, avec une attention innée, aidait Matt à sortir du traîneau.
Mélanie était toute proche désormais.
Plus que deux pas…
La glace ne craquait plus. Mais il ne fallait pas accélérer la cadence pour autant, sinon le pire pourrait arriver…
Oui mais le raz-de-marée est proche de la côte…C’était bon. Il tenait fermement Mélanie, et resserra ses deux bras afin de la porter sur son dos.
Il faut que je revienne près du groupe maintenant…Un grondement terrifiant se fit entendre de toute part. On aurait dit un troupeau de cent bœufs qui se précipitait vers le groupe à toute vitesse.
Et la terre se remit à trembler, ce qui multiplia les failles de glace au sol.
David venait de rejoindre le groupe, laissant Vincent porter seul Mélanie, à côté du traîneau rattachant les chiens qui hurlaient à la mort.
Vite, encore quelques pas et j’ai rejoint le groupe!Le grondement sinistre manqua de faire tomber Vincent, et par la même occasion Mélanie qui se trouvait sur son dos.
Vincent avait maintenant devancé le traîneau et les cinq bêtes qui restaient pétrifiées.
Lentement, David tendit sa main au français, écrasé par le poids qu’il avait au dos.
« Donne-moi la main, Vincent ».
Vincent obéit. Matt et Mélanie étaient sain et sauf, le groupe était soudé.
C’est alors que le sol céda sous les pieds de Vincent.
Derrière lui, toute une étendue de glace se brisa, laissant apparaître un énorme gouffre à la profondeur indéterminée.
Vincent se retrouvait alors au bord d’une immense falaise gelée, serrant de toute ses forces Mélanie à bout de bras qui pendait au dessus du vide.
Il était retenu par la main de David qui allait lâcher.
Le groupe se retrouvait au bord de la falaise, sur une surface solide, alors que Vincent et Mélanie risquaient de tomber dans l’abîme de profondeur sans fin…
Alors que le français luttait pour garder le bras de Mélanie de sa seule main droite et celui de David de sa main gauche, un homme se mit à hurler de rage. C’étaient des sanglots étouffés de colère.
Il s’agissait de Matt, l’homme bronzé, qui venait de constater avec horreur que le traîneau était tombé dans le gouffre… Ses chiens avec…
« NO! NOOOO! MY GOD NOOOOOO! »
Mais David se concentra sur Vincent.
« Ecoute, Vincent, je vais enfoncer un pic à glace sur le bord de la falaise, à tes côtés. Tu t’agripperas à lui. Je vais le planter sur une partie solide de la glace, je pense que ton poids et celui de Mélanie ne la briseront pas…Pas tout de suite… Il faudra faire vite…
Quoi? Il veut que je me rattache à un vulgaire pic à glace! Qu’est-ce qui lui fait croire que tout ne va pas céder et qu’on ne va pas tomber?_ On va en faire de même, Vincent. Nous tous. Juste à côté de toi, on va se suspendre dans le vide avec des pics. C’est le seul moyen ».
Le moyen de quoi?David expliqua très vite au groupe d’hommes ce qu’il fallait faire, et leur distribua des pics à glace rouges qu’il sortit de son sac à dos. Personne ne semblait rassuré, mais tous s’exécutèrent : chacun planta le pic sur le bord de la falaise, de part et d’autre de Vincent qui se sentait épuisé de tenir Mélanie, puis chacun prit le risque de s’accrocher au petit outil, et de se suspendre dans le vide sans fond.
Ils sont fous! Même Patrick obéit sans broncher.
David, le dernier non suspendu, planta près de la tête de Vincent un pic rouge, et lui prit le bras pour amener sa main jusqu’à l’objet.
Il est dingue! Je ne vais pas m’accrocher à…ça!!!L’anglais supportait le poids de deux personnes à la fois, et Vincent savait qu’il n’avait pas le choix. Soit il s’agrippait au pic, soit David le lâcherait lui et Mélanie, d’épuisement…
« Je vais lâcher, Vincent! »
Et il lâcha d’un coup, sans le vouloir.
Vincent se sentit tomber, l’espace d’une seconde, mais il avait serré le pic rouge…Et celui-ci tenait le coup!
Mais pour combien de temps… Et je suis épuisé de tenir Mélanie je vais…A son tour, David enfonça un pic qu’il serra de toute la force de sa main en se suspendant dans le vide.
A présent, tout le groupe s’accrochait à la falaise par le moyen de petit outils.
Tony, le chirurgien qui avait opéré Mélanie, était placé près de David. Il pleurait.
Vincent comprit que le rouquin essayait de le rassurer de quelque chose…
C’est alors que le cataclysme se produisit, ce qui permit à Vincent de comprendre toute la stratégie de David… Avant d’assister à l’horreur de la scène.
Ce qui avait ressemblé à un troupeau de cent bœufs fonçant vers les hommes allait à présent les piétiner.
L’énorme vague s’était écrasé sur le continent, elle s’étalait rapidement de toute part, et elle venait vers eux… Vers David, Tony, Vincent, Mélanie, James, Patrick et Matt…
« Baissez la tête, ne lâchez jamais votre pic, quoi qu’il arrive, serrez-le très fort! Collez-vous contre le bord de la falaise! Il va… » David fut coupé.
Il parût à Vincent qu’une météorite venait de lui tomber en plein sur la tête, fracassant son crâne, brisant ses vertèbres, faisant éclater ses vaisseaux sanguins…
Des litres d’eau de mer lui tomba sur le haut du visage, qu’il baissa sans plus attendre.
La grande vague tombait, se précipitait dans le gouffre qui menaçait de faire tomber le groupe, longeait la falaise sur laquelle était suspendu tout le monde…
Cette partie de la vague se jetait dans le vide, telle une cascade géante.
Et Vincent hurlait, sans entendre sa voie, le bruit insupportable de l’eau qui s’écoulait avec violence derrière lui allait lui faire perdre la raison.
Ne pas lâcher Mélanie, ne pas la lâcher…Seule cette phrase s’imposait dans sa tête.
L’eau était gelée, comme il l’avait prévu. Il était peut-être couvert, mais ses membres ne tarderaient pas à se pétrifier. Alors il tomberait lui aussi…Comme la vague…
Mais alors que la cascade se faisait de plus en plus puissante, vomissant son eau de mer d’une traite, un évènement encore plus effroyable se produisit : Vincent, se rapprochant du mieux de la falaise, avait le sentiment que la vague jetait, en plus de son eau glacée, des rochers, des énormes rochers qui heurtaient le dos de l’homme…
Un de ces énormes projectiles frôla David, qui se décala du mieux qu’il pouvait…
Mais la gigantesque masse émanant de la mer cogna de plein fouet le chirurgien Tony, qui sans le comprendre, tomba à toute vitesse dans le vide, entraîné par l’immense rocher noir.
« TONYYYYYYYYYYYY »
Le hurlement de David se faisait plus fort que le rugissement de la cascade.
Tony était tombé, on ne le voyait plus, il était vraiment tombé, il n’était plus.
Vincent avait absolument tout vu, et s’il n’était pas encore traumatisé, il finirait par le devenir.
Cet homme était tombé si vite… Et cette masse qui l’avait entraîné vers le fond… Ce n’était pas un immense rocher noir…
J’ai vu ce que c’était…Mon Dieu!Il s’agissait d’une baleine.
Le désespoir avec lequel David pleurait finit par inquiéter Vincent.
Faite qu’il ne se laisse pas mourir! Tout était interminable, la souffrance, les hurlements de rage, le grondement de l’eau qui fouettait l’air…
Et le bras de Vincent qui retenait Mélanie ne répondait presque plus.
Une volonté incroyable lui permettait de ne pas lâcher la femme… Mais bientôt son corps ne répondrait plus à sa volonté…
C’est alors que l’eau s’arrêta de couler. La cascade prit fin. David pleurait toujours à en déchirer les cieux, mais l’eau ne coulait plus… La vague s’était définitivement brisée.
Sans plus attendre et au grand soulagement de Vincent, Matt, que le français n’avait encore jamais vu pleurer, aida ce dernier à remonter. Une fois sur la terre ferme, Vincent posa la jolie femme brune à côté de lui et s’écroula sur un sol recouvert d’eau froide.
Après l’avoir secourut, Matt aida un David meurtri qui ne faisait plus le moindre effort pour regagner la surface, ainsi que le reste du groupe.
L’homme bronzé avait cessé de pleurer, bien que le chagrin était toujours là, mais il s’était mit à tousser fortement. Comme avant.
Il va s’étouffer…Mais Matt se reprit, et finit son travail de sauvetage.
Une fois le groupe sortit d’affaire, Vincent regarda autour de lui et eut le cœur serré.
Il n’y avait plus rien.
Un paysage mort, plus l’ombre d’un bruit, un sol inondé d’eau de mer, de poissons sans vie et…
Ce qui flotte, là-bas...Et de corps mort.
Les gens de la base qui ont tentés de fuir… Non, je n’en peux plus…Ce que les survivants allaient faire était une grande question, mais une chose était certaine:
Rien ne serait plus comme avant, désormais.
A suivre…